Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 190, novembre 1995
LIVACHE REMPORTE LE CONCOURS
Créée en 1795, l'école de dessin, transformée en École régionale des Beaux-Arts le 29 juin 1885, a besoin d'un second souffle au début du XXe siècle.
"Cette école, indique le maire dans un rapport sur la situation municipale en septembre 1913, est à la fois le cauchemar et le remords de toutes les municipalités successives. Installée depuis 28 ans, d'une part dans des locaux autrefois occupés par une caserne et situés rue du Musée…, d'autre part aux premier et deuxième étages de l'hôtel dit des Pénitentes… et au premier étage de l'aile droite de l'ancienne cour d'Appel, place des Halles (place Imbach), cette école doit être nécessairement et incessamment réorganisée".
Réorganisation
On nomme pour cela une commission en 1919. Une fâcheuse affaire ayant privé l'école de son directeur en 1920, la réorganisation devient encore plus impérieuse. Le 25 mars 1921, le maire annonce à tous les professeurs, par une lettre qui fait grand bruit, que l'école sera fermée le 15 juillet et "tout son personnel congédié, sans engagement de la part de la ville qu'il sera repris dans la future école". La nouvelle organisation est approuvée le 1er juillet en conseil municipal. L'école prend le nom d'École régionale des Beaux-Arts et des Arts décoratifs. Il s'agit de lui donner un tour plus pratique et de lui adjoindre la collaboration de la chambre des Métiers pour les cours d'arts industriels et d'applications professionnelles : "Le but de l'école doit être de former sans doute des artistes, mais surtout et plus spécialement des artistes décorateurs, peintres, sculpteurs, dessinateurs, capables de rendre des services dans les différentes industries de la région. Elle doit aussi donner aux jeunes gens et aux jeunes filles la possibilité de préparer soit le professorat, soit les examens d'admission aux différentes écoles d'art".
Le 12 juillet, la commission propose Victor-René Livache au poste de directeur, unanime à voir en lui un "artiste peintre de grande valeur, d'un caractère très droit, pondéré, calme, modeste, sans cependant exclure la fermeté et l'autorité nécessaires à un directeur". Cependant le ministère de l'Instruction publique demande l'ouverture d'un concours pour cette nomination. Il est fixé aux 20-22 octobre 1921. Les concurrents sont soumis à cinq épreuves : dessin (nu debout d'après nature), peinture (tête de vieillard), composition décorative, rapport sur l'organisation d'une école des Beaux-Arts, épreuve orale (correction de deux dessins d'élèves et diverses questions administratives). Le maire d'Angers (Victor Bernier), les conservateurs du musée des Beaux-Arts et du musée Pincé ; deux industriels d'art (Lasneret et Merklen, encadreur et peintre-verrier) ; Fougerat et Ronsin (directeurs de l'école des Beaux-Arts de Nantes et de Rennes) composent le jury.
Surtout pas du cubisme !
Les candidats sont peu nombreux, ce qu'avait craint le ministère étant donné la modicité du traitement (8 000 francs) prévu pour le directeur qui doit en outre assurer 18 heures de cours. Cinq concurrents sont en lice, V.-R. Livache, Jules Mignon, Michel Péan, Jacques Volot - tous anciens élèves de l'école des Beaux-Arts d'Angers - et Pierre Galle recommandé par le maire de Rennes, ville où il a fait ses études.
Dessins et copies du concours sont conservés aux Archives municipales. L'épreuve de composition décorative - le décor d'une salle à manger de campagne angevine - donne des résultats très académiques, dans le droit fil des décors du XIXe siècle. Rien de commun avec les recherches du milieu artistique parisien, même de la part de Jacques Volot qu'on jugeait "du côté du salon d'automne, la patrie du cubisme, et des folies…"
A l'issue des épreuves, Livache est déclaré premier. Le thème de la composition décorative n'avait pas dû le dérouter : il avait déjà réalisé un décor pour une salle à manger au château de Landifer, près de Baugé. Ici, son "Festin de Gargantua", dans des couleurs lie-de-vin, fait preuve d'une solide maîtrise du dessin, matière qu'il enseigna par la suite à l'école. Né en 1872, fils de peintre, élevé dès son enfance dans les arts, le salon des Artistes avait accueilli en 1910 son tableau le "Jeu de la rose", vaste composition de 2 m sur 2,50 m. Son oeuvre était déjà importante, tant en restauration de tableaux anciens, qu'en création, spécialement dans le domaine des maquettes de vitraux : brasserie de la gare Saint-Lazare à Paris, verrière de l'escalier de l'hôtel Bordeaux-Montrieux et vitraux de l'église Notre-Dame à Angers.
Nommé directeur de l'École des Beaux-Arts en 1921, il reste à ce poste jusqu'à sa mort, en 1944, communiquant aux élèves toute son expérience. En 1928, l'école déménage dans le nouveau bâtiment construit pour elle au jardin fruitier (derrière le musée). L'année suivante, l'inspecteur général de l'enseignement artistique introduit son rapport d'inspection par cette ligne : "La prospérité de cette école est évidente sous la direction calme et volontaire de M. Livache".
Qu'aurait été la direction de J. Volot ? Dépité de ne point avoir le poste, il avait écrit au maire dès le lendemain du concours : "Le résultat de ce concours m'a surpris. Je comptais être le premier et je suis le dernier, c'est presque la même chose ; me fais-je bien comprendre ? (…) Composition du jury : un banquier (conservateur de musée !!), un collectionneur, un peintre-verrier !, un encadreur !, deux directeur d'écoles des Bx-Arts, peintres des Champs Élysées !! Que diable allais-je faire dans cette galère ?"