Quelques perles du Mail

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 167, juin 1993

Butinées au fil des Archives, voici quelques perles, ou plutôt quelques "fleurs du Mail", parfois vivement colorées, réunies en bouquet. Projets, réflexions ou mouvements d'humeur, toutes montrent l'amour porté au jardin (l'orthographe des documents originaux, parfois ahurissante, a été conservée).

1er juin 1858. - Les habitants du quartier du Mail ne trouvent plus le sommeil :

"Je viens au nom des habitants du Mail (…) réclamer de votre sollicitude pour vos administrés que vous ayez la bonté de désigner pour l'école des tambours un lieu moins au centre de la population. Depuis environ un mois, tous les matins à cinq heures et souvent le soir, quatre-vingts tambours et trompettes se réunissent sur cette promenade, autrefois si tranquille et si fréquentée, pour y faire en jouant chacun un air différent un charivari qui nous assourdit dans nos maisons au point de nous rendre malades et chassent les promeneurs. Ayez donc la bonté de rappeler à M. le colonel du régiment que cette école a toujours eu lieu à la Baumette, qui est au moins aussi près de la caserne que le Mail" (Arch. mun., 1 O 117).

7 mai 1866 : Le Mail est trop calme :

"Le jardin du Mail est sans aucun doute fort bien disposé. Cependant, sauf quelques rares personnes amies de la solitude et du silence, on y va peu, parce qu'il n'offre aux promeneurs que ses allées, ses fleurs et ses ombrages et on se lasse vite des ombrages, des allées et des fleurs. Un jardin public, dans une ville de soixante mille âmes, doit avoir un autre but, celui en particulier d'offrir aux habitants des amusements faciles pour les jours de repos. Si des carrousels ou chevaux de bois, des jeux de billard spéciaux, de toupie hollandaises, des loteries au carton ou à la roue avec gain de petits objets en porcelaine, étaient établis sous les allées des quinconces, je ne doute pas que cela ne donnât bientôt une grande animation au jardin, les jeudis et les dimanches surtout" (1 O 115).

22 mars 1877. - MM. les bébés sont furieux :

"La population si intéressante des bébés, des nourrices et des bonnes d'enfants est dans la désolation tous ces jours-ci. Par suite des travaux qui s'y accomplissent en vue de l'exposition, le Mail est actuellement fort peu agréable ; aussi, au lieu d'y aller prendre chaque après-midi leurs ébats accoutumés, MM. les bébés se dirigent ou sont dirigés vers le jardin de la Préfecture. Mais là - déception amère- la grille de ce jardin est fermée…" (Journal de Maine-et-Loire).

5 août 1890. - Le jardin sert de cantine… :

"Beaucoup d'ouvriers et ouvrières de la fabrique de M. Bessonneau [l'usine se trouvait rue Louis-Gain], aux heures des repas, viennent manger dans le jardin du Mail, soit de la soupe ou de la salade. Ils tachent les bancs, de sorte qu'après leur départ bien des personnes ne savent pas où s'asseoir. Si on les fait lever de sur un banc, ils vont s'asseoir sur un autre. Les filles surtout, lorsqu'elles sont assises, prennent des positions peu convenables, tiennent des mauvais propos et enfin se moquent des observations qu'on leur fait. Les étrangers qui viennent visiter le jardin demandent quelques fois en haussant les épaules ce que sont que ces gens-là, s'ils sont d'Angers. Bien que le jardin soit public, ce n'est pas un réfectoire pour y manger sur les bancs" (1 O 115).

1er mai 1895. - Lettre anonyme à propos de l'exposition nationale au jardin du Mail et au Champ de Mars (l'entrée est payante) :

"Vous n'avez pas le droit d'accaparer le Mail en faisant payer pour y entrer. On en a assez de votre sale exposition et de vos salopries de soi-disant fêtes ratées (…). On va foutre le feu à la cambuse si vous nous poussez à bout. Nous voulons le Mail gratuit (…)" (1 O 115).

13 juin 1898. - Le jardinier du Mail est excédé :

"J'ai l'honneur de vous ofrire mon respect, monsieur [Rohard, conducteur des travaux], je vous déclare aujourd'hui que presque tout les jours les plantes sont cassée, surtout les redindrons qui sont abîmé. Samedi soir, ils ont étés encore brisé, les enfants passe dedan, joue dedans, c'est à ne pas croire. Des branches des plus beaux sont emporté, les chiens, tout s'en mèle pour faire le plus de dégât. J'en suis lassé et dégoûté. Ayez la bonté d'i metre ordre, s'il vous plais. Votre serviteur. Lebas, jardinier au Mail" (1 O 115).

5 août 1912. - Le Mail est noir comme… :

"Il y aurait lieu, selon moi, d'allumer un plus grand nombre de becs de gaz. Les soirées où il n'y a pas concert, le Mail est noir comme chez le diable et ressemble quelque peu à une cave. Les gens tranquilles et honnêtes ne peuvent guère y aller respirer l'air embaumé des fleurs et la fraîcheur de son superbe jet d'eau parce qu'on se heurte partout, on se frôle en maint endroit à des couples peu convenables" (1 O 115).

21 juin 1921. - Remplacer la fontaine par un monument aux morts... :

"Notre délicieux jardin du Mail fait l'admiration de tous, mais ne pourriez-vous pas l'embellir encore, en suggérant, au comité chargé de choisir un emplacement pour le monument des Angevins tombés au champ d'honneur pendant la guerre, l'idée (…) que nous vous soumettons (…). Le grand, trop grand bassin du Mail, de forme octogonale, serait divisé en huit parties égales, occupées alternativement par des eaux en cascades et par des mosaïques ; la fontaine actuelle, qu'il serait d'ailleurs facile d'utiliser dans quelque autre quartier de la ville, faisant place, au centre, au monument projeté" (1 O 117).