Le Mail. Le "jardin des Tuileries" angevin

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 161, décembre 1992

Après la période révolutionnaire, au calendrier festif bien rempli, le Mail et plus spécialement la partie du Champ de Mars correspondant à notre actuel jardin, continuent à servir pour les fêtes nationales. La constitution de 1848 y est solennellement proclamée. Le Second Empire y tire les feux d'artifice de la Saint-Napoléon. Avec la création du jardin en 1859, l'endroit devient une attraction par lui-même. Les quelques Angevins prévenus contre le projet, par crainte de perdre le seul endroit convenable pour la célébration des fêtes, en saisissent vite tous les avantages.

Tracé à la française et planté sur les conseils du grand pépiniériste André Leroy, abondamment fleuri, ses "vertes frondaisons" attirent le promeneur qui trouve là son "Bois de Boulogne" angevin. Les belles angevines y pouvaient faire admirer leurs "robes blanches et roses, si fraîches et si fragiles et ces mille autres futilités si jolies". Fleurs et ombrages ne sont pas les seuls attraits, le jardin est un musée de plein air qui s'enrichit les années passant.

Un musée de plein air

Sans parler de la fontaine installée dès 1855 au milieu de ce qui n'était encore qu'un espace poudreux, le jardin s'orne en 1877 d'un kiosque à musique en fonte ouvragée, puis de petites fontaines dans le genre Wallace surmontées de bronzes donnés par le sculpteur Georges de Chemellier en 1888 et 1891. M. Hy, ancien instituteur, offre en 1880 un très ingénieux cadran solaire, fruit de ses calculs, indiquant le temps moyen de Paris et le temps vrai d'Angers. En 1892, quatre lions fondus en Haute-Marne sont installés aux frais d'Alexandre Hérault. Le ministère des Beaux-Arts envoie le bronze "le chasseur d'ours", placé en 1902 au milieu d'un massif. Ce groupe, que l'on reconnaît sur les cartes postales, a été fondu sur ordre des autorités occupantes en 1942. En 1909, deux nouvelles statues sont érigées grâce au legs Giffard : la Vénus d'Arles et la Vénus de Mathurin Moreau, en fonte du Val d'Osne.

Si ce n'avait été la guerre, le jardin aurait peut-être reçu quatre autres statues, en remplacement des lions de bronze : "J'ai décidé notamment, écrit le maire Louis Barot au ministre des Beaux-Arts, de remplacer divers motifs ornementaux en fonte du commerce par des oeuvres d'art dignes de la ville d'Angers. Afin de faire pénétrer plus profondément dans le public le goût du beau, j'ai pensé qu'il convenait de compléter l'ornementation de notre joli jardin en augmentant le nombre des statues déjà posées grâce à la munificence d'un de nos concitoyens, Giffard Langevin. C'est dans ce but que je sollicite de votre bienveillance l'autorisation de prendre au Musée de la ville les oeuvres suivantes, dons de l'Etat, que je ferai placer au jardin du Mail (…) : "Réveil", marbre par Saulo, don de l'Etat ; "La roche qui pleure" ; "Jeune berger", marbre par Maindron ; "La Muse" d'André Chénier ; "Femme caressant une chimère", bronze de Denécheau" (Arch. mun., 1 O 117).

Divertissements quotidiens

Le jardin est aussi le paradis des gourmands et des enfants. Dès l'origine, un coquet "pavillon de glaces" - vite dénommé "café-glacier" - sert rafraîchissements et liqueurs. Entre 1880 et 1885 existe un "pavillon de gâteaux" tenu par le pâtissier Carroux dont l'activité est reprise par le gérant-locataire du café-glacier. Vers 1910, c'est la voiturette de la confiserie du Petit-Bono qui passe, traînée par un âne. D'autres voiturettes tirées par des chèvres font le bonheur des enfants, quand ce n'est pas le char sculpté du célèbre industriel forain Gustave Bayol (1887-1890). Ce char était très extraordinaire. Le caisson sur quatre roues, d'une longueur de deux mètres, était sculpté à l'avant d'un Pégase cabré et à l'arrière d'une tête de cygne juchée sur un long cou recourbé, d'une hauteur égale à la longueur du char. Le même Bayol obtient en juillet 1905 l'autorisation d'exploiter un manège d'enfant, près du café-glacier. Quant au locataire de cet établissement, c'est une sorte d'entrepreneur de divertissements et de jeux. Il est autorisé à tenir un orchestre (les jours où il n'y a pas de musique au kiosque), à installer un guignol à l'extrémité du quinconce (il y aura à plusieurs reprises un guignol dans le jardin, notamment en 1929 et dans les années soixante). En 1914, il donne des projections cinématographiques devant la terrasse de son café. Le 26 avril, les résultats des élections législatives sont projetés sur écran.

A la fin du XIXe siècle, le jardin est donc très animé. Fini le temps (7 mai 1866) où l'on se plaignait au maire : "Le jardin du Mail est sans aucun doute fort bien disposé. Cependant, sauf quelques rares personnes amies de la solitude et du silence, on y va peu, parce qu'il n'offre aux promeneurs que ses allées, ses fleurs et ses ombrages et on se lasse vite des ombrages, des allées et des fleurs. Un jardin public, dans une ville de soixante mille âmes, doit avoir un autre but, celui en particulier d'offrir aux habitants des amusements faciles pour les jours de repos. Si des carrousels ou chevaux de bois, des jeux de billard spéciaux, de toupies hollandaises, des loteries au carton ou à la roue avec gain de petits objets en porcelaine, étaient établis sous les allées des quinconces, je ne doute pas que cela ne donnât bientôt une grande animation au jardin, les jeudis et les dimanches surtout" (Arch. mun., 1 O 115).

En cas d'ennui, il restait encore aux enfants à admirer les poissons rouges du bassin de la fontaine. Quand on eut liquidé le cygne qui coûtait trop cher - il faut dire qu'on lui donnait du pain "de première qualité" !, puis les canards qui salissaient l'eau avec leurs déjections et fouissaient les pelouses, l'idée vint de les remplacer dans le bassin par des poissons rouges. En outre, Martin Roujou, conseiller municipal, fit immerger au nom de la société l'Ablette angevine quelques Ides milanotes de belle grosseur, poisson qui a la chair du gardon et que l'on essayait d'acclimater en Anjou.