Le cheval dans la ville

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 189, octobre 1995


Le cheval et l'Anjou : une histoire d'amour, une vocation qui s'affirme dès 1593 avec l'ouverture - en même temps que l'Académie protestante - d'une Académie d'équitation à Saumur, par Duplessis-Mornay, ami et ancien conseiller d'Henri IV.

 

L'Académie d’équitation d’Angers

À Angers, l'ouverture d'une Académie d'équitation est presque contemporaine. Déjà beaucoup d'Allemands et de Suédois viennent s'y former au début du XVIIe siècle, sous la direction de Joachim Martin, sieur des Loges. A partir de 1674, et jusqu'à la Révolution, elle est dirigée par la famille Avril de Pignerolle. Comme l'Académie de Saumur, tenue par un protestant, doit fermer, celle d'Angers prospère. Elle est installée en dehors de la ville, tout près du château (actuelle place de l'Académie). Une écurie et un manège neufs y sont construits en 1715-1717 et surtout, les bâtiments sont entièrement renouvelés en 1753-1761, moyennant l'importante somme de 250 000 livres. L'intendant de la généralité de Tours, Charles Savalette de Magnanville, assiste à la pose de la première pierre. Dès son achèvement, on ne tarit pas d'éloges à leur sujet. Tous les visiteurs vantent la noblesse de l'ouvrage, la plus belle construction du XVIIIe siècle à Angers : par un malheur calamiteux, elle a disparu à la suite des bombardements de 1944, remplacée par la caserne des pompiers.

Un bon programme

D'après le registre des élèves de l'Académie, 370 pensionnaires et 120 externes y ont séjourné entre 1755 et 1790. Si les externes sont presque tous des Angevins, les pensionnaires viennent de tous pays : 108 Anglais, 50 Irlandais, 12 Écossais, 8 Suisses, 8 Danois, 6 Hollandais, 7 Américains, 1 Gantois, 1 Russe, 1 Napolitain… Le renom de l'établissement est international. Le fils du roi du Danemark en 1692-1693, Buffon en 1730, le futur duc de Wellington en 1786 suivent ses cours. Chaque élève, note Louis Desjobert, grand-maître des Eaux-et-Forêts de Soissons en visite à l'Académie (1780), a un petit appartement et est nourri à la table commune qui est très bien servie… "On monte tous les jours à cheval, excepté le dimanche et le jeudi, et chaque jour l'écolier fait douze reprises ; aussi une année suffit-elle pour bien monter. On apprend à courir les têtes avec l'épée, le pistolet, etc. dans la cour même, où j'ai vu les poteaux disposés pour cela. Il y a toujours dans les écuries une trentaine de chevaux. Il n'y a en ce moment que six écoliers (de ces six écoliers, il y en a au moins un d'Anglais) à cause de la guerre, parce que le plus grand nombre est ordinairement anglais, je tiens ces détails de M. de Pignerolle lui-même. Les élèves portent un uniforme écarlate avec boutons d'or, doublures et parements bleu céleste. Il y a deux manèges au bout l'un de l'autre dans le même bâtiment, de manière que d'une espèce de terrasse intérieure qui est au milieu, on voit dans l'un et dans l'autre à la fois. (…) M. de Pignerolle mène de temps en temps promener ses écoliers dehors, mais il ne leur prête jamais de chevaux pour sortir sans y être lui-même, parce qu'il peut y en avoir d'imprudents et afin de ne point exciter de jalousies entre eux".

Le haras

En 1792, l'Académie est fermée. Les bâtiments sont transformés en caserne d'infanterie et de cavalerie. La vocation équestre d'Angers n'est cependant pas close. Un dépôt de remonte sera établi rue de Brissac en 1856, mais surtout, en 1791, l'administration départementale crée un dépôt d'étalons à l'abbaye Saint-Serge, vite déplacé en 1797 dans l'ancien enclos des Incurables (actuel quartier du Haras, autour de la patinoire). Napoléon Ier le transforme en l'un des six haras qui doivent pourvoir aux besoins de ses armées (décret de 1806). Il devait fournir pour la monte les trois départements de Maine-et-Loire, Mayenne et Loire-Inférieure. De quatre étalons en 1803, il passe à soixante en 1860 quoique sa superficie se réduise de moitié au cours du XIXe siècle. Placé en pleine ville, les projets d'urbanisme rognent de tout côté son enclos : le percement de la rue neuve d'Orléans (rue Paul-Bert) l'ampute au nord (1842), la ligne de chemin de fer au sud (1848). C'est seulement en 1974 qu'il est transféré à l'Isle-Briand, au Lion-d'Angers, sur 17 hectares.

Premières courses

Ce ne sont pas seulement les institutions officielles qui donnent un "coup de fouet" à l'élevage du cheval, ce sont aussi les efforts des particuliers. Le haras de La Lorie était célèbre à la fin du XVIIIe siècle. En 1843, les écuries de Boutton-Lévêque à Belle-Poule (Ponts-de-Cé) sont montrées en modèle au duc de Nemours. Dans tous les grands domaines angevins, le cheval est roi. En pleine ville, également : les équipages splendides, peu nombreux sous l'Ancien Régime, se sont multipliés. Ce goût pour le cheval est propagé par la Société industrielle d'Angers, fondée en 1830 et par la Société des courses, créée en 1836 sous la présidence du marquis de Contades. Les premières courses hippiques sont organisées dans les prairies d'Écouflant, les 14, 15 et 16 août 1836.

Désormais, elles auront lieu chaque année, en mai ou juin. Un Guide du sportsman ou traité de l'entraînement ou des courses de chevaux est publié en 1838. L'année suivante, la Société industrielle crée un prix : une cravache d'or de 150 francs. Mais l'hippodrome, à huit kilomètres d'Angers, semble trop éloigné. Les courses sont établies près de l'abattoir en 1850, dans la prairie d'Alloyeau. Pour peu de temps, à cause des inondations ! Retour donc à Écouflant, mais en 1864 un autre site, plus proche d'Angers, est aménagé à Éventard, où l'hippodrome se trouve encore. En 1856, le Maine-et-Loire comptait six champs de course : Angers, Segré, Cholet, Saumur, Candé, Pouancé. Aujourd'hui, il en possède quatorze, ce qui le classe au second rang national, après la Loire-Atlantique.