La place du Ralliement, histoire d'un quartier. IV - Vers l'achèvement

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 172, janvier 1994

L'édification d'un théâtre municipal entre 1821 et 1824 est l'occasion de grands progrès. Le mur de soutènement des terres le long de la Chaussée-Saint-Pierre est construit. La place est nivelée en 1825-1826, mais dans sa partie basse seulement car, en 1841, le problème du nivellement - qui a toujours empoisonné la place du Ralliement - refait surface.

"Cette place, se plaint un riverain, recouverte dans sa partie haute de terre forte et de pierres brutes, à demi-cassées et non broyées, laisse à l'oeil non seulement un aspect ignoble et repoussant, mais encore une superficie aussi pénible que dangereuse à la marche, surtout pour les pieds délicats et sensibles de nos jeunes dames qui tous les jours viennent faire leurs provisions de comestibles et de fruits à la place du Ralliement (…). Je me permets de vous écrire, monsieur le Maire, comme simple citoyen, pour éveiller votre attention et votre sollicitude et afin que vous veuillez faire terminer convenablement le travail de nivellement et de redressement si incomplètement commencé sur la place du Ralliement, digne à tous égards, par son importance, comme voisine du théâtre, de la poste aux lettres et pourvue de deux forts marchés journaliers, d'un meilleur sort (…)".

Un nouveau théâtre

Incendié accidentellement dans la nuit du 4 au 5 décembre 1865, le théâtre est rebâti plus somptueusement entre 1867 et 1871. Sa façade monumentale, encadrée de deux immeubles dans le même style, incite les particuliers à édifier d'autres immeubles de belle apparence et hâte les travaux définitifs d'alignement et de nivellement. La municipalité n'impose pas un modèle commun de façade, mais indique seulement aux propriétaires qui construiront auprès du théâtre de se conformer au style et à la hauteur de l'immeuble situé à droite de cet édifice (siège actuel du Courrier de l'Ouest).

Dans les années 1867-1880, le Ralliement devient le carrefour des voies de communication du centre-ville. La rue Milton (Lenepveu), prolongée jusqu'à la place, est raccordée à la Chaussée-Saint-Pierre (1867). Les communications avec la Maine sont facilitées par les travaux de rectification de la rue des Forges raccordée à la rue de la Roë grâce à un pont au-dessus de la rue Saint-Laud (1879). Le haut de la place est directement relié au boulevard par la nouvelle rue Impériale en 1868, rebaptisée rue d'Alsace en 1871 pour honorer l'une des provinces perdues. A partir de 1870, la régularisation est poussée à son dernier degré. Il n'est plus question de demi-mesure. Le saillant nord entre la nouvelle rue Milton et la rue Cordelle est démoli en 1877-1878. A cette occasion, de vastes fouilles archéologiques sont entreprises. Tous les travaux sont achevés en juin 1879. La place acquiert sa physionomie définitive avec la construction du Grand-Hôtel par l'architecte Moirin en 1881 (actuelles Galeries Lafayette) et la reconstruction de la poste en 1886-1887.

 

 

Que mettre au centre ?

Les grands travaux de voirie terminés, il restait à pourvoir à sa décoration. Un crédit de 30 000 francs est ouvert sur le budget de 1890. L'ingénieur de la ville songeait à une grande fontaine décorative, solution ordinaire pour une belle place. Son projet n'ayant pas plu, le programme de décoration est mis au concours en 1896. Les journaux en dissertent : Le Petit Courrier verrait bien un square.

L'architecte Adrien Dubos remporte le premier prix avec un projet original. Il reporte la décoration dans les angles : kiosques entourés de jardinets, balustrades supportant des statues, candélabres monumentaux à l'entour. Enfin, une grande mosaïque - "reproduction fidèle" de la mosaïque gallo-romaine découverte lors des fouilles de 1878 - décorerait le centre : "Pour nombre de raisons, dit-il, il ne faut, en aucune manière, encombrer le centre de la place, qui semble d'autant plus petite qu'elle est entourée de monuments publics et de maisons de rapport fort élevés… Il faut, par des objets de différentes grandeurs, donner une échelle qui augmente l'aspect de cette sorte de "Forum" moderne, puisque c'est bien ainsi que l'indique son nom, le lieu central de réunion… La mosaïque serait, si nous pouvions l'obtenir, une merveille sur une place de province et Angers serait la première ville à posséder cette magnificence. (…)"

On se borne finalement, faute d'argent, à diviser l'espace en quatre parties qui reçoivent chacune un candélabre entouré d'un banc circulaire, financé par le philanthrope Alexandre Hérault. La place reste ainsi, jusqu'à sa transformation progressive en parking à partir de 1929. Dans les années trente, l'un des plans résultant du concours lancé pour l'aménagement, l'embellissement et l'extension de la ville prévoit de tripler la surface de la place. Le conseil municipal en rejette l'idée : "Cela faisait sur le papier une magnifique place. Pratiquement, elle aurait été bien en pente".

C'est finalement la construction, en 1970-1971, d'un parking souterrain qui donne à la place sa première décoration véritable, achevée le 5 décembre 1974 par la pose d'une monumentale fontaine-rose, oeuvre des sculpteurs Bernard Perrin et André Hogommat. Haute de 6,50 m, pesant 3,5 tonnes, son modernisme déconcerta. En janvier 1995, elle a élu domicile place Saint-Serge, devenue en 1996 place François-Mitterrand. Place du Ralliement, des jeux d'eau ont remplacé la rose. Le nouvel aménagement a été inauguré en même temps que la restauration du théâtre, le 10 septembre 1994. Théâtre et place ont partie liée depuis 1825.