La place du Ralliement, histoire d'un quartier. III - Naissance d'une place

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 171, décembre 1993

Le 30 janvier 1791, un décret de l'Assemblée nationale supprime huit des seize paroisses de la ville, dont Saint-Maurille. Le service paroissial de Saint-Pierre transféré à l'église des Cordeliers, les chapitres canoniaux supprimés, les églises Saint-Mainboeuf, Saint-Maurille et Saint-Pierre n'ont plus de raison d'être : elles sont achetées par la ville comme bien national pour être démolies (mars-avril).

Un point de ralliement

Les démolitions sont encore en cours que la nouvelle place est "baptisée" : "place du Raliment, alias Saint-Maurille" écrit le greffier de la ville dans la délibération du 23 avril 1791 (registre des délibérations du conseil, 1 D 2, f° 53 r°), rappelant encore le nom de la petite place antérieure. Lorsque la ville aura l'intention d'en changer le nom en 1806, elle s'attirera cette réponse du préfet : "Cette place du Ralliement qui était encore couverte de décombres et de démolitions lorsque les jeunes gens de votre ville s'y rassemblèrent à la première nouvelle des troubles qui la menaçaient, cette place qui rappelle l'enthousiasme, le dévouement et le premier élan du courage de votre jeunesse, quelle raison pouvez-vous avoir d'en changer le nom ?" (Lettre du préfet au maire, refusant de ratifier le changement de nom proposé, 16 juin 1807. Arch. mun. Angers, série O).

Les travaux ne vont peut-être pas aussi vite qu'on l'a imaginé. En décembre 1797, on démolit encore des maisons "joignant Saint-Mainboeuf" pour élargir la voie publique (certaines parties de l'église ne disparaîtront qu'en 1881, on les observe sur le plan de l'an VI). Le 1er décembre 1791, pour occuper les infortunés, un atelier de charité est créé au Ralliement avec mission de déblayer la place. "A cet effet, il y sera emploié cent enfans à six sols par jour, cinquante vieillards à douze sols et cinquante hommes à quinze sols, six autres hommes pour en toiser les pierres provenant des démolitions qui seront mises à part et trois piqueurs pareillement à raison de quinze sols par jour" (Arch. mun., 1 D 2, f° 122). Les Archives municipales conservent le rôle des ouvriers qui travaillèrent à rouler les tombereaux. Le 26 mai 1792, la place est toujours un chantier de démolition puisqu'on y vend les auges et pierres de taille provenant de l'église Saint-Pierre ainsi que les matériaux et charpentes qui composaient la salle de théologie de l'université près de la même église (1 D 2, f° 186 r°).

Travaux de voirie


Les matériaux déblayés, la nouvelle place est utilisable, mais non "présentable" et peu accessible : "la rue Saint-Denis est tellement difficile dans son exploitation qu'une charrette chargée de foin n'y peut passer parce qu'elle est trop étroite", les rues Cordelle et des Deux-Haies "ne peuvent être considérées que comme des ruelles qui ne sont pas susceptibles de communication, même pour un cheval… La rue Montauciel… [actuelle rue de la Roë] est trop escarpée pour la rendre praticable aux voitures dans ce moment…" (rapport du 7 mai 1797, Arch. dép. Maine-et-Loire, O 88).

Dans ces conditions, le Ralliement n'a qu'un seul accès valable : la rue Montauban. L'ingénieur Demarie ouvre donc en 1797-1798 l'actuelle rue Saint-Maurille à travers les jardins des cordeliers, mettant en communication les deux principales places : le Ralliement et la place des Halles (Louis-Imbach).

Place irrégulière


La place doit encore être régularisée, objet des plans du 26 thermidor an IV (13 août 1796), 18 floréal an V (7 mai 1797) et messidor an VI (juin-juillet 1798). Elle aura forme d'équerre, car on ne prévoit pas de détruire le saillant nord, entre la rue Cordelle et la rue des Forges. Un mail planté d'arbres sera créé au bas, surplombant un mur de soutènement le long de la rue Chaussée-Saint-Pierre. Le plan de messidor an VI ajoute un deuxième mail planté, depuis la rue Cordelle jusqu'au départ de la rue Montauban, en haut de la place, où se trouvait l'église Saint-Mainboeuf. On aboutit donc à un projet de haute et de basse place.

Un devis est établi le 26 janvier 1801 pour le mur de soutènement : il aura 2,60 m de hauteur sur 37,70 m de longueur, avec un retour de 28 m de longueur face à la rue Cordelle. Un escalier de dix marches est prévu face à la rue des Deux-Haies, un autre de quinze marches dans l'angle de la Comédie et de la rue Chaussée-Saint-Pierre. On imagine, grâce à ces chiffres, l'état de déclivité du terrain et l'on mesure mieux tout le travail de nivellement accompli depuis lors. A l'époque, les terres tombaient à chaque pluie dans la rue Chaussée-Saint-Pierre. Néanmoins, le devis n'est pas exécuté. Seul le petit mail destiné au marché aux fleurs est tracé dans la partie haute.

Différents projets d'alignement sont étudiés lorsqu'en 1812, le conseil municipal et le préfet décident de transférer sur la place du Ralliement le théâtre vétuste et insalubre de la place des Halles (place Louis-Imbach). Aux mains d'un particulier qui n'y veut faire aucune amélioration, situé dans un cul-de-sac à l'air fétide, le théâtre des Halles avait été aménagé dans un ancien jeu de paume, en 1762-1763. Depuis longtemps, il ne donnait plus satisfaction, ni pour le confort, ni pour la sécurité. Complément nécessaire au théâtre, le projet de transfert prévoit l'exécution du mur de soutènement le long de la rue Chaussée-Saint-Pierre, le nivellement général et la plantation d'une promenade en quinconce pour faire disparaître l'irrégularité des façades de quelques maisons. Faute de financement, le devis de 1812 reste pendant.