La place du Ralliement, histoire d'un quartier. I - Les trois églises

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 169, octobre 1993

L'idée de créer une place à cet endroit de la ville si bien situé n'est pas une idée révolutionnaire. La Révolution en a seulement facilité l'exécution rapide et l'a amplifiée. Née en avril 1791 de la démolition de trois églises, la place du Ralliement met près d'un siècle pour terminer sa croissance. C'est en 1887 qu'elle prend le visage architectural que nous lui connaissons, tandis que, coquette, elle change de temps à autre ses atours, pour rester jeune.

Les ancêtres

Remontant sa généalogie, nous lui trouvons des parents modestes, entourés d'églises : la place Saint-Maurille, créée en 1784 à l'emplacement du grand cimetière de Saint-Pierre, transféré hors les murs. Les grands-parents sont encore plus modestes, une "placette" née en 1736 de la destruction du petit cimetière Saint-Maurille et de deux maisons. Avant 1736, il n'y a - à l'endroit de la future place du Ralliement - comme emplacement dégagé, que des parvis d'églises, des cimetières et un lacis d'étroites ruelles qui attirent une infinité de malfaiteurs et de libertins (Arch. mun., BB 126, f° 95). C'est un quartier typique d'une ville encore médiévale, irrigué par les rues Cordelle, du "Puit-Rond" (l'actuel passage des Angles), des Forges (future rue de la Roë), des Deux-Haies et Chaussée-Saint-Pierre.

L'historien Blordier-Langlois, né en 1771, s'en souvient, presque avec effroi : "Devant Saint-Maurille (…), était une très petite place circonscrite par l'église paroissiale de Saint-Pierre, et quelques maisons qu'habitaient des chanoines. Des rues étroites conduisaient à cette église ; l'une entre Saint-Pierre et une maison qui forme un angle et qui était si près de Saint-Pierre que les nombreux paroissiens n'y pouvant tenir tous, quelques-uns entendaient l'office assis ou agenouillés sur les marches de cette maison ; l'autre rue étroite qui conduisait à la place Saint-Maurille longeait le cimetière de Saint-Pierre ; une autre enfin est la petite rue Cordelle (…). Tout ce quartier était un vrai dédale, un lieu dont il devait être difficile de se tirer avant l'adoption des réverbères, et dans lequel il était dangereux en tout temps de s'aventurer la nuit".
(Angers et le département de Maine-et-Loire, 1837, t. I, p. 167).

Le coeur d'Angers, sous l'Ancien Régime, n'est pas ce quartier qui vit sans bruit, mais la place des Halles (place Louis-Imbach), la seule grande place de la ville où sont installées institutions administratives, judiciaires, commerçantes et culturelles, où se rassemblent les Angevins en fête. Pour elle, la Révolution aussi est un tournant décisif : une concurrente naît, mieux placée et qui jouit de l'attrait de la nouveauté.

Le premier Angers religieux

Remontons au-delà de 1736 les ancêtres de la place du Ralliement. Le premier témoignage de vie à cet endroit provient des fouilles de 1971, lors de la construction du parking souterrain. Il y avait là, à l'époque d'Auguste, un atelier de potier daté des premières années de notre ère d'après les rebuts de cuisson. Pendant le Haut-Empire, c'est un quartier animé de la ville avec maisons, boutiques et bâtiment thermal (situé face à l'actuel passage du Ralliement). Les ruelles avaient en leur centre des caniveaux couverts pour l'évacuation des eaux usées.

La crise du IIIe siècle et les "grandes invasions" mettent fin à la prospérité. Le quartier est abandonné, momentanément. La ville se replie sur le point culminant du relief schisteux et s'entoure de murailles. Léger renouveau au début du IVe siècle : des bains privés sont réédifiés au milieu des ruines, puis l'abandon des maisons est définitif pour plusieurs siècles. La vocation du quartier change radicalement : de résidentielle, elle devient funéraire et, peu à peu, religieuse.

Vers la fin du IVe siècle, la grande nécropole sud (située entre la rue de Frémur et la route des Ponts-de-Cé) est remplacée par celle du Ralliement. On y construit une basilique dédiée à saint Pierre, premier édifice religieux élevé en dehors des murs de la cité. Une deuxième basilique vient s'y ajouter sous l'épiscopat de saint Maurille, exclusivement à usage funéraire puisqu'il s'agissait d'une chapelle sépulcrale où saint Maurille fut inhumé en 453. Deux siècles plus tard, son successeur saint Mainboeuf édifie lui aussi une chapelle, à proximité des deux premières. Il y crée un hospice et une école pour les jeunes clercs. A sa mort vers 660, il est inhumé dans la chapelle qui prend son nom. Les trois églises du quartier sont désormais en place pour plus de onze siècles. Un bourg suburbain, inclus dans les fortifications de la ville seulement sous saint Louis, se crée autour d'elles. Saint-Pierre et Saint-Maurille deviennent églises paroissiales.

La vie religieuse se renforce au IXe siècle et surtout avec la restauration de l'an mil, après la période agitée des années 850-950. Des chapitres de chanoines sont créés dans les trois églises Saint-Pierre, Saint-Maurille et Saint-Mainboeuf. Leur origine est passablement obscure. C'est peut-être vers 820 que des chanoines sont introduits à Saint-Maurille. La première mention certaine de l'existence du chapitre de Saint-Pierre remonte à 1060-1081 : un acte des archives de l'abbaye Saint-Aubin mentionne le "custos monasterii sancti Petri", sorte d'avoué protecteur de Saint-Pierre (J. Mallet,
L'Art roman de l'ancien Anjou
, p. 89). Au XIIIe siècle, le chapitre est composé d'un doyen et de neuf chanoines. Toutes les prébendes sont conférées par l'évêque.