De l'eau et une fontaine pour Angers

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n°142, janvier 1991

Dernière modification le 16 février 2022

Angers, sous l'Ancien Régime, ne disposait que de puits, de quelques fontaines publiques (Pied-Boulet, Godeline, Saint-Nicolas, des Vignes près de l'actuel boulevard Daviers, Frottepénil sur la route des Ponts-de-Cé) et … de l'eau de la Maine. Durant toute la première moitié du XIXème siècle, l'insuffisance de l'alimentation en eau est l'objet de débats, de rapports détaillés.

L'eau de Loire arrive à Angers

Le 12 avril 1854, le conseil municipal approuve les projets de Dupuit, ingénieur en chef des Ponts-et-Chaussées à Paris, précédemment en poste à Angers : on se décidait à capter l'eau de Loire, décidément meilleure que l'eau de la Maine, à partir d'une île que faisait le fleuve aux Ponts-de-Cé et à l'acheminer vers Angers grâce à une machine élévatoire d'eau mue à la vapeur. En plus des raccordements d'eau à domicile, une centaine de bornes-fontaines devaient répandre le confort moderne dans la ville, pour le prix de 600 000 francs.

Point fort de cette nouvelle distribution de l'eau : deux réservoirs installés, l'un au faubourg Bressigny, l'autre au milieu du Champ de Mars, face à l'hôtel de ville. Dans le projet primitif, ce dernier réservoir était prévu à ciel ouvert, mais sur l'avis du Conseil général des Ponts-et-Chaussées, on décide de le couvrir. Le réservoir est divisé en deux niveaux : une partie souterraine couverte de grandes voûtes annulaires en briques reposant sur des murs circulaires de schiste percés d'arcades et l'autre à l'air libre, réduite à un bassin de cinquante centimètres de profondeur.

Ce bassin est lui-même divisé en deux. La partie centrale, plus haute, est en communication directe avec le réservoir. La borne-fontaine y versera ses eaux. Sur le pourtour, un plan d'eau alimenté par un simple robinet servira de bassin décoratif.

Un modèle présenté à l'exposition universelle

Mais, pour éviter l'effet maussade qu'aurait immanquablement provoqué la vue d'un chétif bassin, l'idée vient d'orner cet endroit d'une fontaine jaillissante. Le moment était propice : l'exposition universelle alors ouverte à Paris donne des idées aux édiles angevins.

Au conseil municipal du 8 août 1855, M. Planchenault, membre et rapporteur de la commission des fontaines publiques, fait le discours suivant :

"Messieurs, vous avez, par vos précédentes délibérations doté la ville d'une prise d'eau à la Loire pour l'alimentation des fontaines et une distribution largement calculée.

Vous avez voté une somme de 600 000 francs pour l'exécution de cet utile et magnifique projet. Il a été fait une entière application de ce capital dans les traités concernant l'établissement des galeries de filtrage aux Ponts-de-Cé, les constructions destinées à ce réservoir, la machine à vapeur qui doit élever les eaux, la pompe qui doit les refouler vers Angers, la fourniture et pose des tuyaux, le réservoir de Saint-Joseph, le bassin du Champ de Mars, les conduites, etc.

Vous avez décidé dans votre séance du 15 novembre dernier qu'un grand réservoir serait, d'après le projet de M. l'ingénieur Dupuy, creusé et construit dans l'axe de la grande allée du Mail, au milieu du Champ de Mars (…)

Dans la session ordinaire qui vient de s'ouvrir, M. le maire a saisi le conseil (…) de la proposition d'acquérir une fontaine monumentale qui, dans ce moment, figure au centre de la grande salle de l'exposition universelle à Paris et que son auteur, M. Barbezat, installerait au milieu du grand bassin du Champ de Mars, au prix de quinze mille francs, y compris la fontainerie (…)".

La commission doit s'expliquer sur la proposition d'acquérir une fontaine monumentale pour en faire l'ornement du grand réservoir du Champ de Mars, au prix de seize mille francs, y compris le transport, la pose et la fontainerie.

De bon goût et d'effet

"L'importance, la situation heureuse de ce réservoir, le rôle qu'il joue dans la perspective de la mairie vers la grande avenue du Mail a toujours commandé à son centre une fontaine monumentale. Le modèle proposé satisfait à toutes les conditions, de proportion, de bon goût et d'effet. La fontaine s'élèverait au-dessus du niveau de l'eau à sept mètres, par un diamètre de quatre à la vasque inférieure. Les groupes y sont heureusement combinés et les jets d'eau gracieux. Le prix n'en est pas très élevé. La commission pense qu'il pourra être acquitté sur les 600 000 francs affectés à la distribution d'eau.

Elle propose d'autoriser M. le maire à traiter avec le propriétaire de cette fontaine au prix de seize mille francs (…)".

Ce rapport terminé, une discussion s'engage. Les conseillers opinent dans le sens du rapporteur. On souligne qu'à l'exposition universelle la fontaine attire l'attention des visiteurs du Palais de l'industrie. L'acquisition est donc décidée à l'unanimité.

L'adjudication des travaux du réservoir et du bassin supérieur a lieu le lendemain 9 août, à l'entrepreneur Barbet. Le 10, le maître de forges Barbezat, patron de la Compagnie des Haut-Fourneau et Fonderies du Val d'Osne (en Haute-Marne), s'engage à livrer "une fontaine semblable à celle qui est au centre de la nef du palais de l'exposition moyennant la somme de quatorze mille francs". Le prix incluait "la fourniture de tous les objets en fonte qui existent à l'exposition au centre du bassin, le transport à Angers, la pose sur les maçonneries préparées par l'administration, la peinture à effets de bronze, la fontainerie intérieure disposée de manière à débiter toute l'eau qu'il sera possible d'employer sans nuire à l'ornementation".

La fortune du Val d'Osne

Les fonderies du Val d'Osne étaient alors réputées pour leur production d'objets décoratifs ou de mobilier urbain en fonte de fer : le développement des villes au XIXe siècle exigeait tout un choix d'éléments de confort nouveau : fontaines, statues et bancs pour jardins publics, candélabres et lampadaires, pendules, grilles … D'où vint la fortune du Val d'Osne. En 1858 d'ailleurs, la maison Barbezat fournit une fontaine identique pour les Allées de Tourny à Bordeaux. C'est aussi de ces fonderies que provient la Vénus de Mathurin Moreau, installée par la suite dans les parterres du jardin du Mail.

Plusieurs modèles de fontaine à deux vasques, les archives en témoignent, ont été présentés aux magistrats municipaux : fontaine sans figuration humaine, avec quatre enfants, version aux trois enfants chevauchant des cygnes (qui fut retenue par la ville de Melun), aux trois enfants symbolisant les heures de la journée. Angers ne voulut rien moins que la fontaine de l'exposition universelle avec deux groupes sculptés figurant les quatre saisons, allégorie très répandue à l'époque.

Dès février 1856, la fontaine était en place. Elle coûta avec le réservoir 66 511,85 francs sur une dépense totale de 800 000 francs en raison de divers suppléments.

1856-1858 : Les Angevins sont conquis par leur fontaine. Ils souhaitent qu'on aménage un jardin aux alentours. En 1858, ils se précipitent au Champ de Mars pour visiter l'exposition industrielle et artistique - on enregistre 129 372 entrées de mai à juin - et admirer le jardin créé pour la circonstance autour de la fontaine.

Supprimé après l'exposition, mais appelé de tous les voeux, le jardin du Mail est définitivement tracé par André Leroy et ouvert au public le 25 mai 1859. De l'eau, on en était venu aux fleurs.

Toutes les références ci-dessus sont extraites des Archives patrimoniales (Archives municipales) : Délibérations du conseil municipal, dossiers du service des Eaux (4 O 58) et de la voirie (1 O 598-600).