Angers vue par ses visiteurs

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 184, mars 1995

Comment Angers a-t-elle été vue au fil du temps par ses visiteurs, quelquefois d'illustres écrivains ? Esquissons un extrait d'anthologie des impressions qu'ils reçurent de notre ville.

Raoul de Diceto, archidiacre de Londres, en 1152

"À l'angle sud-ouest [de la ville], se dresse une très vaste demeure qui serait assez digne de porter le nom de palais, même si des salles construites récemment avec une munificence, une science et une conception vraiment royales, n'y avaient été ajoutées en grand nombre. On a, de là, la vue sur les eaux de la rivière et sur les coteaux consacrés aux vignes. (…) Il ne serait pas facile de trouver ailleurs autant de maisons religieuses, assignées à de pieuses communautés, enrichies par la libéralité des princes…"

Léon Godefroid, en 1638

"Le château, qui est de grand renom pour sa force, est bâti à l'une des extrémités de la ville… ; l'accès n'y est guère facile, la roche qui le soutient étant escarpée quasi de tous côtés, surtout vers la rivière qui d'un côté lui sert de fossés, les autres en ayant de fort profonds. (…) Les rues d'Angers sont peu larges, peu droites, peu unies et peu nettes ; quelques-unes néanmoins sont fort longues, savoir celles qui traversent la ville en sa longueur. L'église cathédrale, dédiée à saint Maurice, est d'une très belle structure, mais en quelques endroits négligemment entretenue".

François de la Rochefoucauld, en 1783

"Cette ville est bâtie sur la rivière de Mayenne, qui se décharge à une demi-lieue dans la Loire. Comme ses bords sont élevés, les rues d'Angers sont hautes et basses ; leur pente est fort rapide. Elle est en général mal percée, mais assez bien bâtie, parce qu'il y a une grande quantité de gens à leur aise. La ville est riche, quoiqu'elle fasse peu de commerce ; le seul qu'elle fait est la vente de ses productions et de celles de la province dont elle est la capitale. Il y a à Angers trois abbayes très riches ; elles contribuent beaucoup à y mettre de l'argent. La cathédrale est assez belle ; son portique est fort élevé et terminé par deux clochers que l'on aperçoit de bien loin. (…) Il n'y a qu'une seule promenade où les gens de la ville puissent aller à toute heure ; elle est fort agréable : on l'appelle le Mail (…) c'est tout simplement une grande allée d'arbres fort hauts qui est le long des prairies, et qui est terminée par un quinconce".

M. de La Mésangère, en 1791 (Géographie de France)

"On compte à Angers 30 000 habitans. Il y a dans cette ville une manufacture considérable de mouchoirs et une de toiles à voiles. L'exploitation des carrières d'ardoises… fait d'ailleurs une branche de commerce très importante. Cette matière est si commune, qu'on l'emploie même dans la maçonnerie : dans les fauxbourgs, il n'y a pas le plus chétif logement qui n'en soit couvert (…). Les environs offrent en perspective une foule de jolies maisons de plaisance, plus de cent moulins à vent, des potagers bien cultivés ou des coteaux qui donnent de bon vin blanc".

Victor Hugo, en 1834

"Je suis venu à Angers par le bateau à vapeur… L'abord d'Angers est charmant… Le bateau à vapeur est sale, puant et incommode. (…) Je n'ai fait qu'entrevoir Angers dans le crépuscule. Les vitraux et le portail de la cathédrale sont merveilleux, le vieux château est très beau, toute la ville est pittoresque. Je trouve que notre bon Pavie [Louis-Victor, imprimeur et poète] ne l'admire pas assez".

Mérimée, en 1836

"Je n'ai vu dans aucune ville autant de maisons du Moyen Âge qu'à Angers. Plusieurs se distinguent par leurs façades sculptées, où l'on pourrait trouver une foule de renseignements précieux sur les costumes et les usages des quinzième et seizième siècles. La maison qui offre la décoration la plus riche et les sculptures les plus variées forme l'angle d'une rue derrière la cathédrale. Là, parmi un grand nombre de figures grotesques, j'ai remarqué un homme tuant un taureau, posé si exactement comme un Mithras , que je suis tenté de le prendre pour une copie de quelque monument antique".

 

Marcel Rouff, gastronome, ami de Curnonsky, en 1921

"On vous dira qu'Angers, à qui nous avons déjà donné le surnom que lui a décerné Élisée Reclus, de "ville des Fleurs", est aussi la ville des belles filles, nobles et décentes, en dépit de leur fâcheuse et injuste réputation, et que les jambes (féminines, bien entendu) y atteignent une incontestable perfection".

 

Gwen Gilbert, romancière anglaise, en 1951

"Tous ceux qui connaissent Angers ne peuvent ignorer la place du Ralliement, aussi importante pour l'Angevin que la Cannebière pour le Marseillais ou la place Saint-Marc pour le Vénitien. En effet, il y a peu d'instants dans la journée où cette place ne présente une grande animation : tout contribue à y attirer la foule. Ici sont situés le théâtre, les cafés les plus fréquentés de la ville, le grand hôtel des Finances, plusieurs magasins importants, sans oublier les fameux établissements Pelé. (…) C'est surtout le matin que la scène est variée et pittoresque. Des paysannes, portant la jolie coiffe angevine, y viennent vendre les produits de leur métairie ; un chevrier traverse la place avec son petit troupeau de chèvres… Une Bretonne dans son beau costume national, son panier de poissons devant elle, crie : "Sardines, Mesdames, les belles sardines fraîches !"