La banlieue d'Angers en 1704

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 179, octobre 1994

Pour connaître la banlieue d'Angers avant le XIXe siècle, les sources sont fragmentaires. Le premier essai cartographique, avant le cadastre de 1810, date de 1704.

Cartes et plans ne remontent guère qu'au XVIe siècle, sauf exception (portulans d'Italie et du Portugal). La première carte régionale de France connue est de 1539 (le diocèse du Mans). Pour Angers, la plus ancienne vue générale, est dessinée par Houfnaglius et publiée en 1561 dans un recueil de vues des cités du monde (Civitates orbis terrarum). C'est une vue cavalière qui montre la rive gauche d'Angers, vue depuis l'ancien couvent des Capucins (emplacement de l'hôpital) et, au premier plan, des fendeurs d'ardoises.

 

Vues cavalières

En 1575, le peintre Adam Vandelant, d'une famille d'artistes, donne une vue cavalière beaucoup plus précise et plus riche d'enseignements pour l'histoire d'Angers. On y voit figurer par exemple le château, dont les tours n'ont pas encore été arasées. C'est vraisemblablement cette vue qui ornait l'arc de triomphe élevé à la porte Angevine (au bas de l'actuelle rue du Chanoine-Urseau) lors de l'entrée solennelle du duc d'Anjou François de Valois, frère d'Henri III, le 13 avril 1578.

Lorsque l'historien Claude Ménard fait graver en 1638 son Portraict au vray de la ville et fauxbourgs d'Angers, c'est encore une vue cavalière, prise, comme Vandelant, sur la Maine, en amont de la Haute-Chaîne. En 1652, dans un cartouche annexe à sa Carte générale du diocèse d'Anjou commandée par l'archidiacre Guy Arthaud, Jean Le Loyer fait figurer un intéressant plan d'Angers, pourvu d'une légende mais encore dessiné suivant la méthode des vues cavalières.

La première représentation de la ville en projection horizontale est l'oeuvre de Louis Simon, gravée en 1736 et dédiée au maire François Poulain. Malgré bon nombre d'inexactitudes, c'est le premier plan véritable d'Angers, mais il ne va pas au-delà des faubourgs. Il est accompagné de vues des principaux monuments. Les plaques de cuivre en sont conservées au musée des Beaux-Arts. Elles ont servi à un retirage effectué chez l'imprimeur Dolbeau en 1881, à l'initiative de l'archiviste Louis Aubert.

L'oeuvre d'un ancien échevin

Ce plan de 1736 a relégué dans l'ombre le travail d'un certain Thibaudeau, qui avait produit en 1704, sans doute de son propre chef, un Plan de la ville et fauxbourgs d'Angers et des environs, manuscrit. Il est présenté aux échevins en 1707 : "Sur la proposition faitte par monsieur de la Forestrie [conseiller de ville] de sçavoir de cette compagnie si elle seroit d'avis de faire les frais de la gravure du plan de cette ville dont le sieur Thibaudeau en a fait un et qui luy a esté envoyé. Les opinions prises, a esté arresté que le temps n'étant pas favorable, il luy seroit écrit par monsieur le vice-maire de raporter ledit plan sans qu'il y ayt lieu d'y faire aucune dépense pour le graver" (registre des délibérations, 21 mai 1707, BB 104).

De ce fait, le plan est resté quasi inédit jusqu'à nos jours. Il nous était parvenu collé sur une toile grossière, plié comme un drap de lit et fort abîmé. Il vient d'être restauré soigneusement et sera présenté pour la première fois au public en 1995 à la future exposition "Trésor d'Archives de l'Ouest" (archives d'Angers, Nantes, Brest et Rennes), salle Chemellier.

Pourquoi n'a-t-il pas été gravé ? Peut-être à cause du caractère naïf de son tracé, en dépit duquel le plan reste très précis car Thibaudeau était, comme le porte la légende, géomètre. On ne sait que fort peu de chose sur lui : ni Thorode, ni Audouys ne le mentionnent dans leurs notes généalogiques et ce qu'en dit C. Port dans ses Artistes angevins s'applique en réalité à un homonyme. Tout au plus sait-on qu'il a été échevin. Lorsqu'il est élu pour deux ans le premier mai 1681, il est à Paris "pour ses affaires".

La banlieue privilégiée

Le plan est tracé à l'encre - une encre acide qui a souvent brûlé le papier - sur plusieurs feuilles assemblées formant un grand carré d'1,17 m sur 1,27 m. Ce n'est pas encore un véritable plan, es bâtiments dessinés en deux dimensions évoquent les vues cavalières. Cependant, il est parfaitement à l'échelle, indiquée en perches d'Anjou : un cm représentant 33,83 m après conversion dans notre système métrique. La ville intra-muros est succinctement représentée par ses plus grands monuments : ce n'est pas la partie qui intéressait l'auteur.

Le plan en revanche est très précieux pour les faubourgs et la banlieue, pour la première fois cartographiée. L'importance des faubourgs Bressigny, Saint-Michel, Saint-Samson, Saint-Lazare, Saint-Jacques est très caractéristique d'une ville depuis longtemps développée hors des murs. Au-delà, un grand nombre de lieux-dits sont indiqués. Ils se retrouvent très précisément sur le premier cadastre de la ville, relevé en 1810 : par exemple la petite ferme du Lutin qui a donné son nom à une rue près de l'avenue Pasteur, la maison de la Croix Rouge (couvent de la Retraite) près de la Madeleine. La nature des cultures est dûment notée : terres labourables, vignes. Celles-ci sont nombreuses dans la banlieue immédiate d'Angers et resteront présentes jusque dans les années 1940 rue La Bruyère, près du cimetière de l'Ouest. Elles le sont encore dans l'enclos du Bon-Pasteur (ancienne abbaye Saint-Nicolas). Autre fait frappant : le grand nombre des moulins, dans tous les faubourgs, spécialement dans le quartier Saint-Lazare ou à la Madeleine. Dernier détail, qui donne l'étymologie de la rue Pierre-Lise actuelle : le lieu de "la grosse pierre". La pierre lis[s]e, au village de "Pierre Lize", n'était-ce pas un mégalithe ?