Les premières places

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, Conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers, n° 429, janvier-février 2020

La ville gallo-romaine – Juliomagus - était une ville aérée, conçue sur un plan orthogonal. À l’intersection des deux axes principaux, le decumanus (rue Saint-Aubin) et le cardo (rue Saint-Laud), soit aux environs de la cathédrale actuelle, devait se trouver le centre névralgique de la cité, le forum, place entourée des principaux bâtiments publics. Au début du VIe siècle, les Formules d’Angers attestent de la présence d’un forum dans la cité, c’est-à-dire dans l’espace de l’actuelle Cité entre château et cathédrale : s’y trouvaient un marché public et la curia publica, instance municipale aux fonctions judiciaires. Ce forum devait être la survivance de l’ancien forum du Haut-Empire. La cathédrale s’est probablement implantée dans l’un des bâtiments de ce forum, de même que la première résidence comtale.

La place des Halles

Au Moyen Âge, de l’ancien forum ne reste plus qu’une espace libre de faible superficie, le parvis de la cathédrale. La nouvelle place qui va progressivement concentrer tous les pouvoirs – économique, politique et judiciaire – est une création du frère du roi saint Louis, Charles Ier d’Anjou. Il reçoit en apanage les comtés d’Anjou et du Maine en 1246 et souhaite aussitôt s’assurer d’importants revenus en prenant le contrôle du grand commerce angevin. Dans l’angle nord-est de la ville, nouvellement englobé par l’enceinte érigée sous saint Louis, se trouve un vaste espace où le comte transfère avant 1255 les trois foires annuelles qui se tenaient jusqu’alors sur les grands ponts. Des halles sont bâties, qui donnent leur nom à cette nouvelle place (aujourd’hui la place Louis-Imbach). Sur l’éminence qui la domine, le comte se fait construire un palais composé d’une très grande salle et d’une chambre du conseil (actuel Musée des sciences naturelles). En 1274, il accorde aux marchands fréquentant les foires d’Angers les mêmes privilèges qu’à ceux qui se rendent aux célèbres foires de Champagne. Aux halles se trouvent les poids et la balance royale. Aux halles aussi, à l’étage, se tient l’auditoire du lieutenant du juge ordinaire d’Anjou. Sur une place voisine se trouve le pilori, mentionné en 1459. À proximité la prison est installée en 1479 dans la porte basse de la place des Halles. Sur la place sont encore les écuries ducales et la maison de la confrérie des archers du papegaut. Nouveau « forum » des temps modernes, la place des Halles concentre décidément tous les pouvoirs : l’hôtel de ville s’y installe en 1529, le présidial - qui coiffe la hiérarchie judiciaire angevine – en 1552.

Étroits carrefours

Il n’y a guère d’autres places dans la ville. Celle du Pilori est modeste. Dans la Doutre, la place de la Tannerie (actuelle place Grégoire-Bordillon) est assez longue, mais occupée en son milieu par un îlot de maisons. Les autres espaces libres ne sont que des carrefours, parfois très étroits. Le premier mentionné dans les textes, en 1131, est le carrefour de la Chevrie, sur le site duquel on a retrouvé, lors des fouilles du quartier de la République, une série de cornes de chèvres, attestant de la spécialisation commerciale du lieu : la boucherie.

En 1475, la charte municipale de Louis XI accorde aux échevins la possibilité « d’exproprier » telles maisons que le conseil voudra pour former des places publiques. La première place ainsi constituée en 1486, par l’achat de maisons appartenant à l’hôpital Saint-Jean, est située sous l’évêché et baptisée simplement place Neuve (actuelle rue Montault). Comme l’indique encore Péan de La Tuillerie en 1778, c’est « le centre de la vie populaire, du bruit, du commerce. La cohue de la grande boucherie formée de dix-huit bancs s’alignait sous l’évêché, derrière un côté de la rue toute bordée de logis en colombages bariolés avec auvents sculptés et pendeloques d’enseignes ».

Une nouvelle place : la placeCupif

La place Loricard, à l’extrémité nord de la rue du Port-Ligny, doit quant à elle sans doute son amélioration au marchand Jean Thomasseau, lorsqu’il est autorisé en 1575 à aménager un quai sur la Maine le long de sa maison. Près d’un siècle plus tard, c’est une initiative municipale qui apporte une amélioration en plein centre de la ville, au carrefour de la Chevrie, entre la petite boucherie et les rues de la Chapelle-Fallet et du Bœuf-Couronné, conduisant à la rue de la Poissonnerie. Ce quartier, le plus peuplé de la ville, devient complètement impraticable lors des fréquentes inondations de la ville basse. Marchands de poisson et boulangers qui travaillent rue de la Poissonnerie sont obligés de se replier au carrefour de la Chevrie, gênant la circulation et le commerce.

En 1673, le conseil de ville achète donc un grand espace contigu, de près de 28 mètres de long sur 10 à 15 mètres de large, occupé seulement par une petite maison. Le sieur Rabut consent à le vendre moyennant 2 400 livres, le droit de conserver les matériaux qui proviendront de la démolition et la concession gratuite d’une place en Boisnet pour y mettre les fumiers de son écurie… La Ville, qui dispose de moyens réduits, ne peut opérer cette transaction que grâce à la contribution de plusieurs particuliers propriétaires de maisons proches du carrefour. Elle pense également qu’elle pourra y louer de nouveaux étals puisque l’endroit joint la petite boucherie. La nouvelle place est baptisée place Cupif, en hommage à son promoteur, le maire Nicolas Cupif (1669-1673). Elle occupait une petite partie de l’actuelle place de la République.

Les initiatives de ce genre restent rarissimes jusqu’à la Révolution, car fort coûteuses et délicates à mener dans un bâti très dense. Si bien que la ville conserve, à l’intérieur de ses remparts, un aspect moyenâgeux et une circulation difficile.