Le premier grand café

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 435, décembre 2020

Le premier café s’installe rue Saint-Laud à la fin du XVIIe siècle. Le café est alors une boisson nouvelle, apparue à Marseille en 1644, mise à la mode à Paris en 1669 par un ambassadeur du sultan. L’implantation des cafés angevins place du Ralliement suit le développement urbanistique du quartier au XIXe siècle et l’inauguration du nouveau théâtre en 1825.

Né le 9 janvier 1818, Amant Gasneau – mais il signera Gasnault - est d’abord employé sur les bateaux à vapeur. Il est mentionné pour la première fois comme « limonadier », place du Ralliement, à la naissance de sa seconde fille, le 13 août 1849. En 1851, sur les listes électorales, il est indiqué comme « propriétaire du Café d’Anjou ». Il augmente ses activités, prenant en location le Café de la Comédie ou Café du Théâtre. Ce dernier disparaît en décembre 1865 dans l’incendie du théâtre. Par échange de terrain, la Ville lui permet de reconstruire un bel immeuble, à gauche du théâtre, en 1868-1869. Le 16 juin 1870, Amant Gasnault rouvre son café, sous l’enseigne « Grand Café d’Anjou et du Théâtre ». « Grandes et belles salles, nombreux billards, prix modérés », annonce l’avis publicitaire.

Les lieux sont somptueusement ornés de colonnes à chapiteaux corinthiens, stucs, plafond à caissons peints et miroirs, à la manière des grands cafés parisiens de l’époque. En 1881-1883, l’artiste Eugène Brunclair, professeur à l’école régionale des beaux-arts, ajoute deux séries de quatre grandes toiles chacune, sur le thème des arts et des jeux*. Mais ce n’est que peu à peu, et à la faveur du déclin du Café Serin, rue Saint-Aubin (voir chronique « Le Café Serin, ancêtre du Welcome »), que le Café du Théâtre acquiert une notoriété supérieure à celle de tous les autres de la ville.

Coeur de la ville

Le café est une vitrine des dernières nouveautés pour commerçants et industriels. La maison angevine Rouault recommande d’y aller voir les bandes américaines de ses billards, pour s’assurer de leur supériorité. On y fait l’essai de la lampe électrique « Soleil » en 1883. C’est là qu’en juillet 1896 ont lieu les premières séances de photographies animées par le cinématographe de MM. Lumière, de Lyon… L’année suivant, le Home trainer, « nouvelle machine vélocipédique » à compteur, intéresse les Angevins. Les principales sociétés de la ville, les hommes politiques tiennent leurs réunions dans les salles du premier étage. La réunion fondatrice de la nouvelle Société des amis des arts s’y déroule en mars 1889. À la mort d’Amant Gasnault en avril 1899, le Café du Théâtre devient définitivement le Café Gasnault, sous la direction de son nouveau propriétaire, Édouard Detton (1899-1924), ancien maître d’hôtel.

Ce dernier lui donne une ampleur encore plus importante. Il organise des championnats de billard, continue à donner des séances de cinéma (en plein air), offre des concerts, ouvre un salon de thé dans l’une des salles du premier étage…


Un café abonné au Journal Officiel...

René Rabault a bien décrit l’établissement dans un article de sa rubrique « Angers rétro » du Courrier de l’Ouest (12 mars 1979), l’évoquant avant sa modernisation en 1925 : « Il ouvrait façade sur la place et sortie sur la rue derrière. Sous les lustres, les reflets des glaces et les regards de six muses peintes en panneaux allégoriques, ses chaises de rotin, ses banquettes de cuir gris-vert offraient 500 places. Les chaises de terrasse en pouvaient ajouter 200. 22 garçons assuraient le service. Un orchestre réputé attirait les mélomanes et ceux qui ne l’étaient pas. Au premier étage, les adeptes usaient des dix billards de leur Académie, tandis que les joueurs d’échecs se retrouvaient au second. Le Gasnault était le rendez-vous quotidien des commerçants, des rentiers, des bourgeois comme des étudiants. […] Carrefour de relations commerciales, avant l’automobile et le téléphone pour chacun, le Gasnault offrait son confort, son ambiance, sa standardiste pour traiter de grosses affaires. Ses trois cabines téléphoniques étaient saturées le second mardi de chaque mois lorsque le célèbre marché aux grains d’Angers attirait jusqu’aux négociants allemands et italiens. Il fallait y ajouter deux lignes lors de la foire Saint-Martin. Depuis la veille au soir, c’était l’affolement. Détail étonnant : le Gasnault était peut-être le seul café en France à recevoir le Journal Officiel chaque matin. »

Fin décembre 1924, Édouard Detton cède la main à une société anonyme au capital de 600 000 francs – Angers Omnium, formée entre les frères Louis et André Cointreau, Clément Grellard, directeur du Crédit de l’Ouest, Théodore Charpentier, propriétaire et Jean-Étienne Gourdon, industriel.

Peu à peu cependant, les grands cafés de la place du Ralliement ferment les uns après les autres, remplacés par des marchands de confection ou de tissus : Café du Grand-Hôtel (actuelles Galeries Lafayette), Café du Ralliement (angle rue d’Alsace, en face des Galeries Lafayette), Café de France (à droite du théâtre). « Le Gasnault » donne son baroud d’honneur le 31 décembre 1951. Il est remplacé par un passage commercial, se survivant de quelques années (jusqu’en 1955) au premier étage, sous la forme d’un dancing. Depuis 1999, le magasin Nature et Découvertes a pris la place de la galerie commerciale.


* Ces peintures ont été vendues lorsque le café a été transformé en galerie marchande. La série sur le thème des jeux a resurgi en 2001, lors d’une vente aux enchères à Lyons-la-Forêt, le 18 novembre.