Images d'un constructeur forain : Henri de Vos

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 182, janvier 1995

HENRI DE VOS


Quand Bayol, affligé d'une sciatique, prend sa retraite de constructeur forain, la vocation d'Angers est bien assurée. La relève est prise par l'un de ses dessinateurs, Chailloux, qui s'associe les menuisiers-sculpteurs Coquereau et Maréchal. En 1912, Chailloux quitte l'entreprise. A la fin de la première guerre mondiale, l'un des fils de l'industriel forain Alexandre Devos (le nom est alors écrit en un seul mot), Henri, quitte Gand pour Angers. Coquereau et Maréchal l'embauchent dans leur entreprise de la route de Paris (au 215 bis, aujourd'hui avenue Pasteur). Il a déjà acquis une solide pratique dans l'atelier paternel, en particulier pour la sculpture.

Sept ans plus tard, en 1925, Henri de Vos fonde sa propre entreprise à Saint-Serge, un quartier très dense en petites industries, très animé par le marché aux porcs et par la fête annuelle d'octobre qui préludait à la grande foire Saint-Martin. On y élisait la reine des forains. Les ateliers de Vos étaient situés au 1 rue de Buffon. Là, il poursuit la tradition issue de Bayol en produisant des manèges d'animaux domestiques, traités de façon très réaliste et sur le mode humoristique. Des coqs, des chevaux au trot (nouveauté), des ânes à panier, des lapins attelés, des canards à tête articulée… sortent de ses ateliers. Il invente ses propres sujets : des saint-bernard harnachés d'un tonnelet, des chinois attelés devant un pousse-pousse. Les gondoles sont aussi l'une de ses grandes spécialités. Il en rajoute au carrousel-salon Demeyer lorsque celui-ci est restauré vers 1930 (figurait à l'Écomusée de Haute-Alsace, près de Colmar, jusqu'en 2011).

Du nouveau à foison

Mais de Vos est aussi tourné vers la modernité. En 1930, l'avenir n'est déjà plus aux chevaux de bois, mais aux nouveautés du progrès technique : il faut des vélos, des voitures, des avions, des bateaux au public toujours avide de nouvelles sensations. A l'avant-garde du progrès, de Vos bâtit de gros manèges : chenilles, autodromes, Luna park. Il invente le "Radio-Car" (les auto-tamponneuses) qui fait fortune, lance le serpent de mer, appelé "Loch Ness" dont le premier exemple a fait ses débuts à la foire d'Angers. Un forain de Périgueux, Gounoux, lui commande un manège de bateaux. Son "aéroport, circuit d'avions avec relevage et oscillations automatiques en marche", a autant de succès que "l'Himalaya". Il réalise des sculptures pour le cirque Bouglione, pour les frères Amar, Pinder… Excellent mécanicien - il excellait d'ailleurs en tout - il remplace les manèges suspendus par des manèges à plancher tournant.

Souvenirs d'un peintre

La mode change. Le temps n'est plus aux décors profus de la Belle-Époque, même si Henri de Vos s'est adjoint les services de l'artiste peintre Aimé Viavant. Le décor des nouveaux manèges se réduit à des treillis de bois ajourés reliant les poteaux. Cette évolution écoeurait les artistes peintres. Ainsi Léon Duytschaever, employé comme apprenti peintre à partir de septembre 1927, compagnon peintre, puis contremaître jusqu'à la mobilisation en septembre 1939. Il nous livre les souvenirs de ses années passées avec Henri de Vos : "C'était un type complet, un artiste qui connaissait aussi l'électricité, la mécanique, la menuiserie. Il mettait la main à la pâte, était très méticuleux. Il soignait tellement son travail qu'il ne fit pas fortune. Perfectionniste, il a mangé de l'argent en travaillant, même s'il était très organisé. Il n'y avait pas de temps mort pour les ouvriers. Les peintres aidaient les menuisiers. Henri de Vos logeait au coin de la rue de Buffon et de la rue de Rennes, dans une maison en planches (bien construite). Très sympathique, quand il s'est remarié, il a donné un repas pour ses vingt à vingt-cinq ouvriers chez le père Juguet à l'hôtel de l'Ouest. C'était un bon vivant. Pour moi, c'est mon second père".

L'entreprise faisait travailler les petites industries métallurgiques du quartier : Troseille mécanicien-ajusteur rue Florent-Cornilleau, le constructeur-mécanicien Taphanel avenue Besnardière, Darondeau sellier-carrossier au 43 rue Boisnet, Cormier sellier-garnisseur rue du Pré-Pigeon, Sébille tôlier-chaudronnier dans la même rue (puis avenue Pasteur). Ce dernier fit construire chez de Vos un "mur de la mort" qu'il exploita personnellement. L'usine Bessonneau de l'Ecce-Homo fournissait les bâches et le transporteur Lartigue véhiculait les manèges jusqu'à la gare Saint-Laud.

Dans le temps où les commandes étaient nombreuses, les ouvriers travaillaient jusqu'à 54 heures par semaine et se relayaient par équipe, de jour et de nuit. Outre les charpentiers, forgerons et serruriers, il y avait quatre à cinq sculpteurs, des menuisiers (le père Poirier, Maurier…). On utilisait une machine à sculpter pour dégrossir qui faisait deux ou trois modèles en même temps. Le chef-peintre Viavant concevait les décors, les peintres exécutaient les préparations et la peinture des animaux. Viavant, excellent décorateur, avait eu pour maître Lutscher, professeur à l'école des Beaux-Arts et avait travaillé chez le sculpteur Rouillard, rue de Bel-Air. L'italien Durante, décorateur pour la maison concurrente Maréchal, travailla également pour de Vos. Léon Duytschaever, entré en apprentissage à 13,5 ans, suivit aussi les cours de l'école des Beaux-Arts (en cours du soir), spécialement ceux du sculpteur Guilleux et du dessinateur Abel Ruel, et reçut le premier prix des apprentis.

En 1939, l'entreprise est mise en faillite et ferme. Henri de Vos ouvre un nouvel atelier à Saint-Denis, rue Ernest-Renan, en 1945. A ce moment, c'est Chéreau, un Normand, qui reprend le flambeau de l'art forain à Angers. D'ailleurs, Henri de Vos revient à Angers travailler avec lui en 1960-1963. Henri de Vos meurt à Paris en 1979, après avoir également travaillé, de 1963 à 1971, chez un industriel forain allemand, Zierer, en Bavière.


Modifications : juillet 2010, février 2012

Remerciements à :
- Léon Duytschaever pour tous les détails qu'il m'a fait connaître et les phographies inédites qu'il a déposées aux Archives.
- Erik De Vos, fils d'Henri De Vos.